L’annonce d’un cancer : une responsabilité partagée
Interview réalisé par Dr Anwar CHERKAOUI
En médecine, les premiers mots énoncés sont fondateurs de la relation entre le médecin traitant et son patient (e). Car, il n’y a pas d’annonce anodine de la maladie. L’annonce à un patient d’une maladie grave comme un cancer dépend de l’idée qu’il se fait de sa maladie et renvoie le malade à son angoisse de mort. Cette annonce qui remet en cause ses projets de vie provoque dans 2 cas sur 3 une réaction anxieuse et dépressive qui peut durer plusieurs mois. Pour essayer d’approcher cette notion, www.sante21.ma donne la parole à deux médecins qui côtoient quotidiennement des patients atteints de cancers. Le premier est cancérologue (Dr Faouzi HABIB), le second est radiologue (Dr Bounhir BOUMEHDI).
Dr Anwar CHERKAOUI : Comment doit se faire l’annonce d’un cancer à un patient ?
Dr Faouzi HABIB : Le cancer impose une succession d’annonces qui sont autant de traumatismes psychiques potentiels : celle du diagnostic initial, celle de la chirurgie et/ou de la chimiothérapie et / ou de la radiothérapie, celle d’une rechute très difficile à annoncer ou de la guérison aussi qui sont autant de chocs émotionnels. L’annonce qu’il faut considérer comme une nécessité légale, technique et éthique, pose en pratique le problème du devoir d’informer et du droit d’ignorer.
Dr Anwar CHERKAOUI : Quelle pourrait-être la place du radiologue dans l’annonce d’un cancer ?
Dr Bounhir BOUMEHDI : Dans la mesure où l’imagerie devient de plus en plus déterminante dans la prise en charge des patients, la place du radiologue dans l’annonce de la maladie est de plus en plus importante. Il faut avoir présent à l’esprit que le patient qui vient de passer son examen radiologique est souvent en attente d’une éventuelle sanction thérapeutique au décours de l’évaluation de sa maladie.
Comme tout soignant les radiologues doivent absolument savoir se prévenir du mensonge, de la banalisation, du recours au jargon médical, de la fuite en avant, ou de l’identification au malade qui tous peuvent avoir les effets opposés à ceux attendus par le patient.
Dr Faouzi HABIB : Une mauvaise nouvelle doit s’annoncer graduellement et s’adapter à chaque patient, car il s’agit d’aider le malade à faire face à la maladie : il faut écouter le malade, s’ajuster à sa demande d’information, respecter ses réactions de défense, choisir les mots prononcés et reformuler pour donner du sens à ce qu’il vit avec sa maladie.
Dr Bounhir BOUMEHDI : Alors que la précision de l’imagerie génère une demande croissante d’information, les radiologues ont une place méconnue dans l’annonce, qui n’est ni évaluée, ni aménagée actuellement dans tout processus d’annonce du cancer. Ils doivent en pratique faire la part d’annonce qui leur revient : il s’agit en fait pour eux de faire une « pré-annonce » en participant ainsi pleinement au processus de l’annonce délivrée par le clinicien. Savoir mettre des mots sur les images réalisées et démystifier le geste technique : le radiologue peut déjà rassurer en disant que l’examen s’est bien passé.
Dr Faouzi HABIB : Puisqu’il y a toujours un message derrière l’image, et que le médecin soigne aussi avec la parole, les règles d’or de l’annonce sont donc celles d’un véritable relais de communication avec le patient organisé autour : d’une communication sincère où il importe de ne rien dire qui ne soit pas vrai, d’une information qui se fait pas à pas en tenant compte de la demande du patient, avec un ajustement permanent, d’un dialogue respectueux des mécanismes de défense du patient et qui sache ouvrir vers un espoir réaliste.
Ceci est particulièrement sensible dans le domaine du dépistage des cancers qui s’adresse à des personnes dénuées de symptômes et s’estimant être en parfaite santé, qui peuvent se sentir précipitées brutalement dans la maladie.
Dr Bounhir BOUMEHDI : Mais d’une façon plus générale il semble nécessaire de reconsidérer les modalités de l’annonce en regard des progrès technologiques, pour des patients de plus en plus conscients des progrès de l’imagerie et de mieux en mieux informés.
Il faut en effet mieux formaliser comment les radiologues peuvent répondre à l’attente des patients, en articulant au mieux, devoir d’informer et droit d’ignorer, et en sachant ni mentir ni tout dire, ce que dans leurs pratiques de nombreux radiologues font déjà de manière informelle.
Il faut en effet mieux formaliser comment les radiologues peuvent répondre à l’attente des patients, en articulant au mieux, devoir d’informer et droit d’ignorer, et en sachant ni mentir ni tout dire, ce que dans leurs pratiques de nombreux radiologues font déjà de manière informelle.
Pour adapter nos pratiques professionnelles il est tout à fait indispensable de définir quelques règles communes concernant ce qu’on dit, à qui on le dit et dans quelles conditions, afin que la modernité technologique de notre discipline, s’accompagne d’une modernité éthique et relationnelle.
C’est ainsi qu’on pourra aider le patient à faire face à la maladie en lui expliquant l’apport et les limites des examens d’imagerie dans la prise en charge de son affection. Il s’agit d’améliorer la qualité de cette information délivrée sur un plateau technique d’imagerie, afin que chaque malade adhère au mieux à sa prise en charge diagnostique et/ou thérapeutique dans le cadre initial et/ou de suivi de sa maladie.
La question de l’annonce en radiologie peut donc tout à fait s’intégrer dans le champ du développement professionnel continu et de l’évaluation des pratiques professionnelles. Cela, tout en sachant qu’il nous faut en même temps saisir les possibilités offertes par la mise en œuvre des différents plans cancers, coordonnés par la Fondation Lalla Salma et le ministre de la santé.
Dr Anwar CHERKAOUI : Au Maroc, comme dans de nombreux pays le radiologue est de plus en plus sollicité dans la prise en charge des patients atteints de maladies graves et particulièrement ceux atteints de cancer, et à tous les stades de la maladie. Comment voyez-vous ce concept ?
Dr Bounhir BOUMEHDI : Cette approche me semble désormais essentielle pour l’organisation de notre discipline, car l’imagerie joue et jouera un rôle crucial dans le domaine de la cancérologie. C’est pourquoi les radiologues devront porter leurs efforts sur l’ensemble des types de cancers, et il me semble tout à fait opportun de montrer les différents apports de l’imagerie à tous les stades de la maladie. Et il faut réfléchir à des courroies de transmission entre les différents spécialistes qui travaillent dans le domaine d la cancérologie.
Dr Faouzi HABIB : En oncologie, l’imagerie est essentielle à chacune des phases de la maladie depuis le dépistage jusqu’au suivi sous traitement. Initialement bien souvent c’est l’imagerie qui détecte ou fait le diagnostic du cancer, et particulièrement à son stade précoce quand il peut encore être traité facilement et à moindre coût. Mais aussi le radiologue aide le staff à prendre la décision médicale la plus appropriée à partir de l’évaluation par l’imagerie de l’extension et de la masse tumorale. Puis le radiologue intervient pour évaluer la réponse au traitement, tout autant que pour détecter précocement toute récidive locale ou à distance afin de la traiter au plus tôt. Il faut noter que désormais la réponse précoce au traitement peut être évaluée grâce à l’imagerie métabolique et fonctionnelle, et que ceci peut permettre de changer de modalité thérapeutique en l’absence de réponse précoce. De la même façon l’imagerie pourra aider à moduler la durée du traitement. le radiologue intervient plus encore quand l’imagerie est utilisée pour guider les gestes mini invasifs sur les cancers, soit en guidant la biopsie pour confirmer la maladie, soit en guidant l’ablation tumorale elle-même. Plus encore que les techniques d’imagerie le rôle des radiologues qui font partie intégrante de l’équipe oncologique multidisciplinaire est désormais crucial, et leur avis est de plus en plus requis par les chirurgiens, les spécialistes d’organe et les oncologues.
Dr Bounhir BOUMEHDI : Partout dans le monde, les radiologues jouent un rôle majeur dans les programmes de dépistage des cancers, notamment en France, pour les programmes de dépistage des cancers du sein et du colon, le radiologue est un maillon indispensable. Ce n’est pas le cas encore au Maroc. Car, il est indispensable de mettre en place des mécanismes pour intéresser les radiologues de tous les secteurs à être des acteurs dans les programmes de dépistage.
Dr Faouzi HABIB : La coopération radio-medico-chirurgicale en oncologie aide à choisir la meilleure exploration à proposer au patient, ainsi que dans certains cas le meilleur traitement à débuter quand une procédure guidée par l’image est requise. Il est désormais reconnu que cette approche multidisciplinaire représente un réel progrès médical. C’est aussi une approche efficiente de la maladie, grâce à la collaboration des radiologues à la décision thérapeutique à tous les stades de la maladie.
Dr Bounhir BOUMEHDI : Mais une meilleure définition de la place du radiologue dans l’annonce faite aux patients des résultats de leurs examens est un objectif essentiel qu’il faut atteindre, pour les patients comme pour la discipline de radiologie. Car, si le nombre de cas de cancers est en train de croître, de nombreux domaines sont encore à développer en imagerie oncologique, depuis le dépistage jusqu’au traitement en passant par l’annonce au patient. En effet, c’est sur la base des nouvelles technologies d’imagerie et des stratégies associées que seront développés les nouveaux traitements et que seront améliorées les prises en charge des patients atteints de cancer.