Dr Bounhir BOUMEHDI
La médecine légale joue un rôle capital pour déterminer les circonstances d’un décès. Surtout lors de suspicions de crime. Hélas, en cette fin de 2023, le Maroc compte à peine 30 médecins légistes pour plus de 35 millions d’habitants.
A ce manque criard en ressources humaines, il y a heureusement la technologie, notamment l’imagerie médicale qui apporterait à la médecine légale une aide précieuse, principalement avec les avancées extraordinaires en imagerie forensique (néologisme pour médecine légale).
Et aujourd’hui, la collaboration entre le médecin légiste et le radiologue est une nécessité scientifique et éthique.
Depuis quelques années, les techniques modernes de l’imagerie médicale, comme le MDCT (Multidetector computed tomography) et l’IRM (Imagerie par résonance magnétique), prennent de l’importance dans les examens post mortem (pm).
L’angiographie pm, quant à elle, ouvre de nouvelles possibilités d’investigation du système vasculaire jusqu’alors impossible avec une autopsie conventionnelle.
En plus des méthodes radiologiques, d’autres techniques modernes comme le scanner de surface en trois dimensions (3D) ont été employées afin d’améliorer les reconstitutions de cas complexes.
Il faut préciser que les progrès technologiques qu’a connus la radiologie ces dernières années commencent à toucher également la médecine légale, comme l’ont fait auparavant les progrès en toxicologie.
Le plus souvent, les lésions à la surface du corps sont documentées par des photographies. Une fois les investigations terminées, le corps est rendu aux proches, puis enterré.
Si, dans un second temps, d’autres questions surgissent ou un deuxième avis est sollicité, il sera souvent difficile d’apporter des réponses sur la seule base de la documentation initiale.
C’est entre autres sur ce point-là que les nouvelles technologies radiologiques viennent apporter un avantage considérable.
Parmi les technologies modernes d’imagerie post mortem, le MDCT est un outil capital.
En effet, le temps d’installation et d’acquisition des données est très rapide (un corps entier est scanné en 10 minutes) et la manipulation du MDCT est relativement facile.
L’imagerie post mortem peut être employée comme examen complémentaire à l’autopsie ou à l’examen externe du corps. Les données volumétriques acquises du corps entier peuvent ensuite être reconstruites en 3D.
Détection et documentation de fractures
Pour la médecine légale, la morphologie exacte d’une fracture est très importante, car le médecin légiste peut en retirer des informations sur son origine. Lors d’une autopsie conventionnelle, certaines fractures complexes sont impossibles à investiguer sans les modifier par les manipulations.
Ainsi, la détection des fractures situées dans des régions difficilement accessibles à l’autopsie est plus aisée par l’imagerie. De plus, grâce à des reconstructions en 3D, les informations obtenues sont aussi facilement compréhensibles par des non-médecins, notamment les juges et les avocats.
Détection de corps étrangers
Les corps étrangers, notamment métalliques, peuvent facilement être localisés et visualisés radiologiquement. Les avantages en médecine légale sont multiples. Par exemple, dans des cas de coup de feu, le MDCT permet de détecter la présence éventuelle d’un projectile à l’intérieur du corps ainsi que sa localisation exacte qui pourrait être involontairement modifiée lors des manipulations faites au cours de l’autopsie.
Les implants médicaux sont un autre type de corps étranger d’intérêt médico-légal. Leurs positions et leurs morphologies sont souvent utilisées pour l’identification des corps. Les images post mortem effectuées par le scanner peuvent facilement être comparées avec les radiographies ante mortem.
En cas de catastrophe de masse, l’utilisation du MDCT pourrait faire gagner du temps pour l’identification des victimes.
Imagerie par résonance magnétique (IRM)
Par rapport au MDCT, l’IRM permet une excellente visualisation des tissus mous. En revanche, la reproduction des structures osseuses n’est pas bonne.
Dans le cadre de l’imagerie post mortem, elle est donc utilisée pour investiguer les tissus sous-cutanés, les organes abdominaux, le cœur et le cerveau.
En médecine légale, l’investigation du tissu sous-cutané est très importante, particulièrement dans les cas de traumatismes contondants.
La distribution et la morphologie des hémorragies sous-cutanées peuvent donner des informations sur le mécanisme d’origine.
L’application de l’IRM post mortem peut donc améliorer la sensibilité des investigations médico-légales dans le cadre des traumatismes contondants, tels que les accidents de la circulation ou les cas d’homicides par armes contondantes.
L’IRM est également un bon moyen d’investigation pour les pathologies cérébrales et, dans le domaine de la pédiatrie, pour la cause de décès d’un nouveau-né.
Ainsi, même si l’examen à l’œil nu ne montre pas de lésions visibles, dans quelques cas, l’examen par IRM révèle des hémorragies des tissus mous profonds ainsi que des pétéchies (petites taches rouges) dans les ganglions lymphatiques, qui témoignent d’un traumatisme.
D’autres méthodes d’investigation en post mortem sont développées telle l’Angiographie post mortem (injection de produits pour réaliser des moulages vasculaires) et la photogrammétrie digitale.
Les techniques d’imagerie constituent une valeur ajoutée aux investigations médico-légales classiques. Avec un examen par MDCT, le médecin légiste peut obtenir rapidement des informations cruciales sur le cas à investiguer, lui permettant également de préparer son autopsie et d’adopter d’emblée la bonne technique qui est adaptée au cas par cas.
Par rapport aux constatations effectuées lors d’une autopsie conventionnelle, les informations acquises par un scanner représentent l’état du corps avant toute interférence. Des «lésions» produites par l’autopsie peuvent ainsi être facilement identifiées.
La représentation exacte de l’aspect des fractures multi-fragmentaires ainsi que des positions des projectiles est supérieure à toute photographie ou description.
Actuellement, nous sommes encore loin d’un remplacement de l’autopsie par des techniques d’imagerie. Une autopsie comporte bien plus qu’une simple recherche et documentation des lésions et des pathologies visibles (examens histologiques, toxicologiques, génétiques, microbiologiques, etc.).
Il ne faut pas oublier non plus que l’imagerie forensique présente aussi des limites, telles que la résolution limitée du scanner.
De plus, pour un bon nombre d’instituts, l’acquisition du matériel moderne est financièrement lourde.
Pour finir, il faut également insister sur la nécessité d’une collaboration étroite entre les médecins légistes et les radiologues, pour tout projet de radiologie forensique. En effet, ces deux spécialistes se trouvent confrontés à un nouveau domaine où ils ne peuvent qu’apprendre l’un de l’autre.